Ameth

Le vieil homme enleva doucement la pipe d’entre ses dents et alla s’asseoir près des enfants afin de leur raconter une histoire. Comme toujours, ce serait un conte fantastique, en l’honneur de la gloire perdue, héritage se dissipant toujours un peu plus au fil des années. Les gens oubliaient, et l’ermite s’y refusait. Aussi donc raconta t-il à ces oreilles attentives ces histoires, aussi sombres soient-elles... D’un geste de main, il embrasa les quelques morceaux de bois se trouvant au centre du cercle. Les enfants se mirent alors à regarder l’ermite d’un regard remplit d’admiration. La marmaille de ces villageois, trop occupés pour prendre la peine de conserver les souvenirs de leurs ancêtres. On ne pouvait bien pas leur en vouloir, la vie était dure en ce siècle obscure, et les seigneurs demandaient toujours plus de récoltes en échange de leur protection. La braise provenant du feu dégagea une confortable chaleur, mettant à l’aise ces enfants en vue d’un conte qui eu peut refroidir les plus hardis. Duhadif, ermite depuis plusieurs décennies déjà, contempla son public avant de se lancer, d’une voix posée et majestueuse.

- Vous êtes vous déjà demandé pourquoi il est imprudent de se promener dehors la nuit lorsque la lune est à son zénith ? Écoutez, je vais vous raconter la sombre vérité…

Les enfants firent de grands yeux, hypnotisés par le maître orateur qui se tenait devant eux et leur proposait ce récit apparemment si exaltant. L’aîné du village, reclus et sinistre, semblait avoir une parole enchantée. Son regard couleur acier se perdit un instant sur ces petites têtes chevelues, puis il continua…

- Sachez, mes enfants, qu’autrefois en ces terres cohabitaient de nombreuses espèces. Des animaux, mais aussi des humanoïdes, des fées et même des elfes.

Le vieillard prit une pause, sa respiration profonde teintée par le lourd poids des souvenirs… Les jeunes devaient savoir. Il devait semer le bien pour que le monde n’oubli pas, pour qu’il reprenne ses forces après le coup dur qu’il avait reçu.

- Aujourd’hui, nulle de ces créatures ne peut être trouvé à des lieux à la ronde, et certaines se sont éteintes de la surface du monde connu. Et ce génocide n’est le fruit que d’un homme… Un homme qui n’en est pas un.

Duhadif ferma les yeux et se laissa aller à ses pensées, laissant sa voix sage et extraordinaire guider son discours… Il s’appelait ainsi ; Traemahiel. Oui, il s’en souvient, comme si c’était hier que ce carnage s’était déroulé. Traemahiel, le Démon Blanc. Celui-ci semblait homme, autrefois. Sa peau blanche comme neige camouflait une flamme qui ne pouvait être éteinte ; celle de la rage, héritage de son père, archi diable de passage dans ce monde, juste le temps de donner à une pauvre innocente un bambin pour répandre sa malveillance. Plus le temps filait, plus le Démon Blanc devenait fou, et il laissait s’échouer son côté humain pour se consacrer au mal proposé par ce sang fort et brûlant qui coulait dans ses veines. De manigance en manigance, les Inquisiteurs finirent par le soupçonner, mais les bonnes actions que le demi-homme s’était efforcé toute sa vie à accomplir brouillèrent avec succès les pistes des templiers. Il n’y pouvait rien… Un sang noir, porteur de rage, posséda son corps et son corps jusqu’à la moindre racine, le faisant céder et accepter son rôle dans l’Univers ; il en serait l’Ultime Destructeur.

Son charisme et ses hauts faits en tant que sorcier, barde et guerrier lui permit d’influencer à sa guise le seigneur du territoire, le vicomte Jaren Franscir. Il sema le doute dans l’esprit de ce simple d’esprit à la famille prestigieuse, et lui fit commettre le pire ; l’extermination des créatures magiques, des fées, des elfes et du reste. Le Démon lui inspira la peur, un racisme virulent de cet inconnu qui pourrait lui voler son château et sa fortune. Jouant sur l’avarice du vicomte, Traemahiel lui fit dérober des quantité phénoménales de richesses, et s’en appropria une grande partie pour se constituer sa propre armée ; une armée terrible, mû par les forces les plus noires que cette terre n’ai portée ; une armée de morts, au travers de laquelle quelques démons menaient une danse macabre et sadique… Et bientôt, le vicomte fut exécuté par son conseiller blafard, et l’armée morbide prit encore de l’expansion.

C’est alors qu’un être de lumière apparu ; un paladin, nommé Cygenioh. Alors que l’armée noire détruisait tout sur son passage, grossissant et nourrissant la fortune du Démon Blanc, c’est ce défenseur de l’ordre qui vint se dresser sur son chemin. En effet, certains hommes s’étaient levé, une grande alliance pour contrer les forces du mal qui sévissaient dans le royaume. Parmi eux, des grands héros et des créatures célestes vinrent se battre pour cette grande confrontation. Sur la frontière entre les pays de Mhaciof et de Klasoj, tous se rencontrèrent en un stupéfiant face à face. 12 héros firent directement face au seigneur maléfique, 12 paladins, hommes et femmes, d’âge divers, formant la secte des Contre-Cœurs, serviteurs de la Lumière Infinie. L’un après l’autres, ils retirèrent leur épée, laissant échapper une fine musique et la placèrent devant leur front, qui se trouvait derrière un heaume chromé. Le plus vieux d’entre eux s’avança, grand et costaud, ses cheveux blancs tombant sur ses épaulettes, et enleva son casque pour poser ses yeux nu sur ceux de son ennemi.

La voix de l’ermite se fit plus passionnée, tant qu’outre lui rien ne faisait le moindre bruit. Pas un seul souffle d’enfant, pas une seule mouche bruyante, même le feu semblait réserver ses crépitements pour mieux écouter le vieil homme.

- Traemahiel, créature de la Langue-Noire, responsable de la Plaie et de l’extermination des créatures vivantes de ce royaume, mage maudit, profanateur et nécromancien, il est l’heure pour toi d’être châtié pour tous tes crimes ! Ton règne s’achève, meurs dignement, en homme que tu fut autrefois, et accepte la réédition. Laisses moi, Xosmiir, te remettre dans un cachot éternel où ta folie ne pourra plus dévorer le monde.

Et puis ce fut le silence… Même pas le son du vent… Une ambiance tangible, qu’on aurait pu trancher au couteau. Et soudain, un rire si puissant… un rire si mauvais, si terrifiant… Le rire tonitruant du demi-diable retentit, et fit trembler les collines et s’échouer les dernières feuilles des arbres qui restaient.

- Vous pensez vraiment Xosniir que je souhaites pourrir le trou que vous me proposez ? Bande de minables imbéciles ! Toi et ta troupe de faux prêtres ne pourrez jamais venir à bout de moi et de mon armée. Moi, Traemahiel, le Démon Blanc, conquérant du monde !!! Je suis responsable de l’extinction de ces races, et ce n’est que justice ; les forts doivent survivre et les faibles périr, ainsi soit-il… Vous avez déjà bien du culot de prétendre pouvoir m’arrêter. Et maintenant, il est bien tard pour peser le geste ; je vais vous massacrer jusqu’au dernier, et nul d’entre vous ne pourra résister au divin héritage de mes ancêtres infernaux ! Maintenant… mourrez…

Le paladin remit son casque et empoigna son épée alors que l’ombre du mal s’approchait à toute vitesse.La levant bien haute dans les airs, une lueur divine perça les nuages et entoura le groupe de paladins d’un halo béni. Xosniir récita une courte prière et lança son épée directement sur le Démon qui le chargeait. Celui-ci dressa un bouclier d’ombre et un choc brutal se fit. L’épée se brisa et fut propulsée à gauche et à droite, alors que le monstre ricana de plus belle.

- Maintenant que ce petit jeu est fini, peut-être serait-il temps pour vous de faire une autre petite prière pour demander pardon pour toutes vos fautes, avant de devenir membres de mon armée de morts…

La troupe du bien risquait la défaite, car Traemahiel était trop puissant et nul ne connaissait son véritable nom, seul moyen de pouvoir le commander. Xosniir soupira devant la fatalité ; il dégaina un long couteau marqué de symboles bénis, porta une main au ciel, et tout en lançant avec vigueur une fabuleuse prière, il planta l’arme dans sa poitrine, directement au travers son cœur. Xosniir s’écroula sur le coup, et une flaque de sang commença à l’entourer… Le sombre sorcier observa, incrédule, et voyant que rien ne se passait, il se mit à hurler de rire devant ce suicide dérisoire. Ses horribles crocs et son regard fou déformèrent son visage, et alors que le chef de l’armée noire bondit pour se battre contre les héros de la lumière, son pied toucha le sang du défunt paladin… Son corps blanc devint lumineux comme une étoile, et horrifié, le monstre explosa dans un flash lumineux. Traemahiel était vaincu. Son armée se dispersa et une grande partie fut détruite. Toutefois, des tonnes de morts-vivants de toute sorte continuent de se promener en ces terres… Le mal rôde toujours, et bientôt il faudra de nouveau héros pour se dresser et l’arrêter. Les morts sortent lorsque la lune est au zénith. Ils sont devenu une race à part entière. Et possède même des villes, loin d’ici. Loin d’ici, quelques elfes subsistent… Et dans les alentours, quelques démons arborent des formes plus ou moins humaines pour ramener le défunt fils d’archi diable. Certaines rumeurs prétendent même que son essence affaiblie est encore de ce monde, sous une toute autre forme, qui se cache, qui cherche à retrouver son pouvoir d’antan.

Le sage s’arrête alors de parler, reprend son souffle un instant, soupire et rouvre ses yeux étranges.

- Le choix est votre, mes enfants. Peut-être serez vous avec les légions impies, ou bien encore serez vous dans notre camp, nous qui protégeons ce monde des attaques des fourbes. Mais sachez que dans ce village et dans le royaume qui l’entoure, vous n’êtes pas en sécurité… Maintenant, allez vous coucher mes petits. Il est temps de se glisser dans les bras du rêve…

Le vieillard s’en alla alors dans sa chaumière et laissa le feu s’éteindre de lui même. Les enfants restèrent un instant interloqués, puis se dispersèrent dans leurs maisons respectives. Le mal rôde encore… Sans cesse le vieux sage se le répétait. Il ne devait pas l’oublier. Il le sentait… Les morts, les anges et les démons se réveilleraient à nouveau. Bientôt.




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