Discussion privée

Dans le silence de la pièce, rien ne bougeait. Puis, une ombre se déplaça d'un des coins assombris de la pièce. L'homme avança, et alla se poster devant le balcon qui était relié à la pièce. Il observa le paysage au dehors, les soldats qui faisaient leur ronde, les paysans qui faisaient leur dur labeur, les marchands qui vantaient leur marchandise à grands cris dans les rues de la ville. Il resta ainsi, puis entendit un bruit de pas accéléré dans le couloir. Les portes s'ouvrirent d'un coup, allant percuter les murs. Le Seigneur Tohan Zengmao entra dans la pièce, et les portes furent refermées prestement derrière lui par les gardes qui le regardèrent avec anxiété.

Magoshi se retourna lentement vers Zengmao, et l'observa un moment avant de prendre la parole. Le seigneur avait le visage légèrement rougi, qui soulignait la colère qu'il pouvait voir très facilement sur son visage. Le voir dans un tel état de conscience après une visite à la jeune dame Shirakawa le laissait penser qu'elle ne s'était pas montré aussi soumise que Zengmao l'aurait souhaité. Il s'avança de quelques pas, et dit:

-J'en déduit à l'allure que tu as que tout ne s'est pas exactement passé comme tu l'aurais voulu avec la dame Shirakawa.

Il ramena sa cape autour de lui, et attendit la réaction du Seigneur. Il savait bien que le fait de parler de la jeune Shirakawa pourrait probablement enrager encore plus Zengmao, mais il se devait, en tant que conseiller et bras droit de celui-ci, de connaître ce qu'il fallait sur ce qu'il faisait.

Zengmao s'était engouffré dans une autre partie de ses appartements, dans l'espoir de s'éloigner le plus possible de sa chambre et de la petite peste qu'il y avait laissée. Il bouillait de rage, et cela se voyait. Malheur à l'inconscient qui aurait choisi cet instant pour demander une faveur à son seigneur: il aurait fini défenestré sans autre forme de procès. Zengmao ouvrit d'une violente poussée les portes de l'un de ses salons privés, avec l'intention manifeste d'évacuer sur elles un peu de la colère qui le dévorait de l'intérieur.

Magoshi l'attendait, comme souvent. C'était son lieu ici, le seigneur Tohan ne se rappelait pas avoir jamais parlé à son conseiller en un autre point de son palais. Il avait appris à estimer à leur juste valeur les conseils du Muto, bien plus réfléchi et posé que lui-même, et il appréciait toujours d'avoir son point de vue sur la situation. Mais en cet instant, Zengmao était contrarié de le voir. Ce qui n'avait en fait rien à voir avec Magoshi: le seigneur Tohan était dans un tel état de rage que chaque visage plus calme que le sien lui semblait une provocation. Le Muto prit la parole d'un ton légitimement goguenard, et Zengmao l'interrompit sur sa lancée d'un poing levé de manière menaçante:

"Pas de commentaire. Pas un seul commentaire."

Sa voix tremblait de rage contenue. Au fond de lui, Zengmao avait conscience qu'il avait tort de perdre ainsi la maîtrise de ses émotions, qui plus est pour une femelle, mais c'était plus fort que lui. L'image de Natsumi refusait de s'éloigner de lui et ravivait sans cesse sa frustration, à la différence de la vraie qui s'était empressée de bondir hors de sa portée.

Le souffle court, le seigneur Tohan croisa son propre regard dans la surface polie de l'un des vases de métal qui décoraient sommairement la pièce, et il s'obligea à réprimer sa fureur. Il saisit le bord du petit buffet qui soutenait le récipient et ferma les yeux, s'obligeant à souffler profondément tandis qu'il se meurtrissait les phalanges sur le bois. C'était suffisant, il se défoulerait plus tard. Pour l'instant, l'important était de reprendre contenance. Se calmer et reprendre contenance. Continuer à s'énerver, ce serait accorder encore un peu plus de poids au refus de Natsumi. Fichue Seishuu et son sens de l'honneur... Zengmao soupira et demanda un ton en-dessous:

"Magoshi, dis-moi au moins que les Shirakawa n'apprécient pas cette prise d'otage."

Il souffla encore et se redressa, en faisant craquer les os de ses doigts. Son regard sombre alla se fixer sur son conseiller tandis qu'il reprenait:

"Me suis-je décrédibilisé en prenant cette fille au lieu des denrées qu'ils étaient prêts à m'offrir, ou bien ai-je vraiment frappé là où se situait leur faiblesse?"

(HJ : D’accord, je ferai un petit annexe. Alors dans ce cas, Tsukiyo, tu m’enverra précisément ce que tu veux comme annexe, ok?
Sinon, je crois qu’il est temps que je relance le sujet…..^^ )

Magoshi regarda en silence Zengmao se défoule sur le buffet en tentant d’apaiser quelque peu la colère qu’il avait en lui. Il comprenait bien évidemment que Zengmao soit frustré, même plus que frustré, par la résistance que lui avait forcément opposée la jeune Natsumi. Cette jeune fille se défendait déjà comme une tigresse, mais il trouverait bien un moyen d’y remédier. Tout le monde a un point faible…

Il tourna la tête vers son seigneur lorsque celui-ci lui parla. Le clan des Shirakawa était il mécontent de cette otage de guerre? Lorsqu’il lui demanda également s’il s’était décrédibilisé, ou s’Il avait frappé à leur faiblesse….

-Tu me demandes si les Shirakawa déplorent la perte de Natsumi? Zengmao, tu devrais être mieux placé que quiconque pour savoir la réponse. Déjà que tu a vu en personne la réaction de son père, son clan ne devrait pas avoir une réaction fort différente. Malgré son jeune âge, elle est la fille aînée du chef de ce clan.

Il baissa la tête, et réfléchit à la seconde question de Zengmao. Avait-il frappé dans leur point faible, ou n’avait-il fait, comme il le disait, que se décrédibiliser en commettant cet acte? Il était vrai que ce point laissait perplexe lorsqu’on creusait la question. Mais Magoshi avait tout de même son avis sur cette situation.

-Et comme je te l’ai dit, tu a prise la fille aînée du seigneur Shirakawa en otage, et non une troupe de putains des bas fonds. Je ne pourrais t’affirmer qu’il s’agit là de leur point faible, mais il s’agit bien tout de même d’un beau coup. Cela t’accorde un avantage sur ce clan.

Il plissa légèrement les yeux. Le fait que Zengmao puisse douter de ses choix précédents n’était pas une bonne chose.

-Ne reviens pas sur tes anciennes décisions, Zengmao. Ce qui est fait est fait, et c’est du futur qu’il faut te préoccuper. Tu ne domineras pas tes ennemis en te laissant dominer par le doute.

Il resserra davantage sa cape autour de lui, et attendit une réaction de Zengmao, qui lui montrerait ce qu’il conviendrait de faire par la suite.

[Je sais, je suis en retard et m'en excuse encore, ça ne se reproduira plus.]


Tout en écoutant silencieusement son conseiller, le seigneur Tohan s'était avancé jusqu'à l'une des grandes ouvertures qui servaient de fenêtres à la pièce. Rarissime faiblesse dans l'architecture de la forteresse, mais elle était compensée par l'aspect reculé de la facade concernée: même un Ninja aurait dû traverser l'ensemble du palais avant de pouvoir arriver dans la petite cours sur laquelle donnaient les appartements du seigneur. De là où il se trouvait, il ne voyait même pas les toits d'Inuyama. Seulement quelques panaches de fumée noire qui trahissaient les maisons chauffées. Zengmao se perdit dans leur contemplation tandis que Magoshi achevait ses paroles rassurantes sur un ton qui relevait presque du sermon. Plus agacé que réellement en colère, le seigneur Tohan répliqua sans le regarder:

"Le futur? Quel futur? La saison des combats tire sur sa fin, et nos armées se préparent déjà à s'installer pour la venue des grands froids. Tout cela est si lent..."

Il tourna la tête et dévisagea son conseiller comme s'il le voyait pour la première fois. Bien sûr que Magoshi était à l'aise dans cette ambiance d'attente, tout le monde savait qu'il préférait cent fois les réflexions sur le long terme aux combats dans la terre et le sang. A bien y réfléchir, Zengmao n'était pratiquement jamais d'accord avec lui. Mais c'était bien pour cela que ce jeune conseiller lui était précieux: c'était son inverse, son contrepoids pour conserver le précaire équilibre du territoire. Le seigneur Tohan annonçait ses projets, l'autre les tempérait, puis le seigneur décidait pour le mieux.

Et voilà que ce système bien en place commençait à perdre de sa valeur aux yeux de Zengmao. Magoshi était sage pour son âge, et il l'était peut-être trop. Natsumi accordait peut-être aux Tohan un pouvoir certain sur les réactions des Shirakawa, elle n'en restait pas moins le symbole de ce qui ennuyait le plus le jeune souverain: les accords de paix. Il n'était pas idiot au point de croire que la force résolvait tous les problèmes, mais au moins avait-elle le mérite de clarifier nettement la situation - celui qui rampait au sol en se vidant de son sang était le perdant, point. Zengmao n'aimait pas cette entente en demi-teinte avec les Shirakawa, et il craignait que cette candide gamine ne s'avérât pas une garantie valable pour plus de quelques saisons. Il lui fallait autre chose pour assurer sa puissance, et ce moyen était tout trouvé.

"J'ai besoin d'une bataille, Magoshi. Mes hommes trépignent ou s'enlisent dans leur passivité, mes chevaux désapprennent l'odeur du sang. Et puis cet accord avec les Shirakawa ne me satisfait pas: je veux frapper fort pour qu'ils comprennent une bonne fois pour toute que leur nouveau suzerain, c'est moi."

Il s'interrompit un instant, le temps de se rendre compte que ses paroles pouvaient être mal interprêtées.

"Je ne veux pas attaquer les Seishuu, ce serait inutile. Et puis leurs terres sont trop proches des nôtres, trop au nord - nous n'auront pas le temps d'entamer une guerre avant l'hiver. Mais un peu plus au sud-est, il y a les territoires des Otori... Shirakawa doit bien avoir quelques alliés à frapper parmis ces fanatiques, non?"

Magoshi sourit hocha la tête lorsque Zengmao fit allusion aux Otori. Il est vrai que les Shirakawa et les Otori étaient alliés en maints sujets. Si le Seigneur Tohan voulait donner un bon exemple aux Shirakawa, une démonstration de force contre leurs alliés serait une idée plus qu'intéressante. Il resta silencieux quelques instants, réfléchissant à la réponse à donner, et dit finalement:

-Il est vrai qu'une attaque contre les alliés des Shirakawa pourrait faire un bon exemple. Mais comme tu viens de le dire Zengmao, ce sont des fanatiques. Ils ne se laisseront pas dominer, et la capitale de Hagi est tout de même bien fortifiée.

Il se retint de sourire, et dit également:

-Et tu a immédiatement saisi ce que voulais dire, même si tu ne t'en est peut-être pas rendu compte: c'est du futur qu'il faut s'occuper. Tu dis que tes hommes se morfondent de ne rien faire, eh bien il est peut-être temps effectivement qu'ils aient quelque chose pour se distraire avant l'arrivée des premières neige. Il seraient capables de s'entre tuer jusqu'au dernier si leur ennui venait à prendre de tro grosses proportions à leurs yeux.

-Mais encore faut-il maintenant décider de l'endroit où tu compterais frapper. Il est toujours mieux de savoir où l'on va, que de marcher les yeux fermés en plein brouillard.

Il croisa les bras d'un mouvement lent et leste, et regarda l'extérieur de la pièce. Il reporta cependant rapidement son attention sur Zengmao. Calme et serein, il attendit patiemment une réponse de son ''Seigneur''.

Lentement, la fureur et la crispation quittaient le visage de Zengmao pour laisser la place à une expression gourmande des plus désagréables. A sa décharge, il fallait avouer qu'il ne s'attendait pas à ce que son idée soit si ouvertement approuvée par son conseiller. Et qu'est-ce qu'elle pouvait être tentante, cette idée... L'imagination embryonnaire de Zengmao s'accorda quelques secondes de fonctionnement, et durant ce bref instant le seigneur Tohan se vit mener son armée dans la neige du haut de l'encolure de Tsuyoi. Il entendit les clameurs de ses soldats qui abattaient les défenses ennemies engourdies par la trève hivernale, qui ravageaient villages et palais de campagne pour l'exemple...

"Même la plus somptueuse des forteresses peut faillir, Hagi ne fait pas exception à la règle. En nous y prenant assez tôt, nous pouvons être en pays Otori au beau milieu de la récolte du riz, lorsque les greniers se remplissent encore dans les campagnes et que les cités sont moins bien approvisionnées. Saccager rizières et réserves nous amènerait à un siège d'autant plus efficace que les Otori auront bien du mal à se procurer une autre nourriture en cette saison."

Pendant qu'il parlait, Zengmao fixait Magoshi sans le voir. Il pouvait paraître inhabituellement loquace, mais il s'exprimait toujours ainsi lorsqu'il s'agissait de stratégie militaire. Les arguments et les tactiques se bousculaient dans son esprit, et il était pratiquement obligé de les exprimer à voix haute pour les trier de manière appropriée - et puis il en profitait pour exposer ses intentions à son "fidèle" conseiller, même s'il ne s'adressait pas vraiment à lui.

"Mais un siège est difficile à tenir en plein hiver, une mauvaise évaluation de leurs réserves et ce seront nos troupes qui se retrouveront en très mauvaise posture... C'est peut-être trop risqué par rapport à une guerre ouverte. Mais d'un autre côté, je ne crois pas qu'une bataille aurait l'effet escompté sur les Seishuu..."

Un temps de silence, puis le jeune homme planta son regard sombre dans celui de Magoshi:

"Dis-moi, qu'en penses-tu toi? Je ne cherche pas tant à frapper fort qu'à frapper juste, pour intimider les Shirakawa en leur démontrant que leurs valeureux alliés ne résistent pas plus qu'eux face aux Tohan. Je ne sais pas si un affrontement dans les plaines Otori leur donnera cette impression."

-Tout dépends de la tournure que prendrait cette offensive.

Magoshi regarda son maître dans les yeux, geste qui pourrait être considéré comme grossier, mais il avait pris l'habitude de regarder les représentants des Tohan en plein dans le yeux. Sans doute parce qu'il avait failli avoir la machoire décrochée par un guerrier lorsqu'il ne l'avait pas fait. Il chassa rapidement cette pensée comme on balait un tas de feuilles mortes ou une araignée, et retourna à sa conversation avec Zengmao.

-Une victoire contre tes ennemis, qui sont aussi les alliés des Shirakawa, serait bénéfique, mais une défaite est également possible, quoi qu'on puisse penser. Plusieurs batailles se sont déjà retournées en un instant.

Il croisa les bras derrière son dos, ramenant quelque peu sa cape sur les côtés, dévoilant les côtés de sa tunique. Une légère dague pendait toujours à sa ceinture, et un bref éclat de lumière fit étinceler sa garde et son pommeau. Le Muto reprit la parole:

-Mais il y a également un point. Où que tu ailles combattre pour le moment, la saison froide arrivera peut-être par surprise. ce ne serait pas la première fois. Il ne faut pas surestimer les dangers des premières chutes de neige...

Il resta ainsi silencieux en terminant ses mots, et attendit de voir la réaction de son seigneur face à ces propos.

Apparemment plongé dans ses pensées, Zengmao n'en hocha pas moins la tête aux paroles de Magoshi. Son conseiller soulevait des failles évidentes dans cette stratégie d'attaque à l'aube de la morte saison, et pourtant le chef Tohan ne pouvait ignorer les avantages d'une telle démarche. La surprise serait telle s'il mobilisait son armée pendant la lune en cours... Et si les combats s'avéraient aisés à remporter, il pourrait même voir au-delà de son idée initiale et provoquer ouvertement les Otori... Il secoua mollement la tête. Non, cela c'était une douce folie. Pour l'instant, il devait juste chercher à concilier l'hiver et la sécurité de ses propres troupes. Lentement, Zengmao reprit:

"Et si je n'envoyais pas l'armée elle-même? Tous nos soldats ne sont pas ivres de sang et impatients d'aller au combat, je ne le sais que trop bien. Mais les autres, ceux qui trépignent à l'idée d'attaquer l'ennemi... Je pourrais les dépécher en pays Otori par petits groupes afin de saper le moral de nos opposants. Ces hommes frapperaient vite et bien, de telle manière qu'officiellement je puisse accuser des brigands mais qu'officieusement tout le monde sache de qui provient ces rapines..."

Il tourna la tête, et son regard nota inconsciemment l'arme que Magoshi portait au côté. L'un des rares aspects qui l'empêchaient de faire une confiance aveugle à son jeune conseiller: pourquoi tenait-il donc tant à rester armer en permanence, y compris au palais? La paranoïa qui allait de pair avec son statut de bras droit ne pouvait être seule en cause. Zengmao n'était peut-être pas aussi vif d'esprit que Magoshi, mais il l'était assez pour deviner que ce dernier prenait grand soin à garder sa part d'ombre. Le Seigneur Tohan le soupçonnait d'avoir des relations peu fréquentables, mais il n'avait pas tenu à en savoir plus. Pour l'instant, il était content de son conseiller. Cependant, de là à lui accorder toute sa confiance, il y avait un pas que Zengmao s'obligeait à ne pas franchir: il est toujours très intructif d'être le successeur d'un roi assassiné pour s'être montré trop laxiste avec ses proches.

"Je crois que c'est la solution qui me plaît le plus, même si je regrette un peu l'idée d'aller en découdre moi-même avec ces limaces engluées dans leur sens de l'honneur suranné. Quoique, rien ne m'empêche de faire partie de l'un des groupes en question, ne serait-ce que l'espace de quelques semaines... A ton avis, a-t-on des guerriers assez qualifiés pour mener ce genre d'assaut?"

C'était presque une question réthorique: Zengmao savait que oui. Mais il tenait à se l'entendre confirmer par son conseiller.

"Tout de même, cette situation ne me plaît guère... Je vais m'efforcer de tirer quelque chose de cette Natsumi - oh, ne me regarde pas de la sorte, je ne vais pas lui sauter dessus! Mais elle ne m'est d'aucune utilité si elle s'installe dans cette attitude de défi."

Il allait bien falloir qu'il trouve quelque chose, en effet. Natsumi était une otage, une femme de surcroît, elle n'avait donc pas vraiment à faire parler d'elle au sein du palais. En théorie, qu'elle reste reclue dans ses appartements n'était un tort pour personne. Mais Zengmao ne l'entendait pas de cette oreille. Il refusait formellement qu'on le défie, surtout si "on" appartenait au beau sexe. La question étant: comment faire revenir cette tête de mûle à une attitude plus humble sans la brutaliser?... Gouffre de réflexion pour le chef Tohan...

-Pour ce qui est de la jeune Shirakawa, je crois que le meilleur moyen est d'attendre. Il s'agit uniquement de lui donner du temps pour s'adapter. Tu sais parfaitement que personne ne peut s'intégrer à un nouveau milieu instantanément.

Il fixa un moment le Seigneur Tohan, intéressé par le trouble et les problèmes que semblaient lui causer la jeune Natsumi. Mais si le Seigneur se laissait trop distraire par son otage, cela pourrait s'avérer fort fâcheux en fin de compte... Il faudrait lui changer les idées pour qu'il ne devienne pas obsédé par la jeune fille.

-Pour ce qui est de faire plusieurs raids en pays Otori, il est vrai que cela serait sans doute plus dommageable pour eux en un certain sens. Mais qui te dit que les village frontaliers ne sont pas protégés? Je ne puis croire que les Seigneurs Otori puissent laisser leurs frontières sans défenses. Et au cas où tu l'aurais oublié, Shirakawa n'est pas le seul allié des Otori. Quoique tentante, une attaque générerait peut-être bien plus de problèmes que tu ne semble le croire.

Il était bien concient que le fait chez lu de oujours soulever les points négatifs pouvait se révéler agaçante par moments, ignorer ces mêmes points pourrait se révéler fatal. Et il se devait de conserver Zengmao le plus longtemps possible. Du moins, aussi longtemps qu'il le faudrait.

-Mais si tu souhaites réellement mener ces raids contre les Otori, il faudrait voir à observer les troupes. On ne peut pas savoir quels soldats sont assez compétents pour ce genre de choses, et lesquels ne le sont pas. Mais il est vrai que les fanatiques nécessitant un bain de sang ne manquent pas.

Il savait qu'en parlant ainsi, il était peut-être en train de sceller la mort de dizaines, voire de centaines personnes, mais sa mission ici passait avant tout. Même avant la survie d'un clan tout entier s'il le fallait.

Zengmao repoussa les scrupules de son conseiller d'un geste excédé:

"Bien sûr que les Otori protègent leurs frontières, mais tu sais aussi bien que moi que leur système de défense comprend des failles énormes. Leurs gardes les avertissent de l'approche des mercenaires et des divisions armées, mais ils ne peuvent pas gérer l'afflut des pirates et des brigands. Pour un groupe de nos hommes qui se fera prendre, dix autres passeront sans le moindre problème."

Son regard se perdit par la fenêtre, vers un point qu'il était seul à voir.

"Tant qu'à faire, j'enverrai également quelques hommes sur les terres mêmes des Shirakawa. Leurs rapines seront plus modérées, mais elles suffiront à maintenir la pression. Je ne m'arrêterai pas avant d'obtenir une soumission totale de la part de ces Seishuu."

Puis, d'une voix légèrement ironique:

"J'aurais dû faire pression sur Shirakawa et obtenir sa fille en tant qu'épouse, non en tant qu'otage. Cela aurait résolu le problème de manière bien plus efficace. Mais bon, de toute façon il est trop tard pour avoir des regrets. Dis-moi Magoshi, c'est une impression ou bien tu me contredis seulement en ce qui ne te plaît pas?"

Etonnante transition, qui s'était faite sans même que Zengmao change de ton. La demande pouvait paraître légère, mais elle était en réalité dangereusement importante si l'on considérait le caractère paranoïaque du seigneur Tohan. Bon, son conseiller lui indiquait les tactiques les plus raisonnables sur le long terme, et c'était son rôle. Mais Zengmao avait l'étrange et inexplicable impression que ce n'était pas le seul paramètre qui entrait en compte.


[Je sais, ce n'est pas terrible, mais tu sais que tu ne m'aides pas à faire des messages dignes de ce nom en objectant sans proposer?... ]

(..................)

-Je ne te contredis pas dans ce qui aurait pû me contrarier selon certaines hypothèses. Je me contente de faire mon rôle en tant que conseiller: t'aider à rester rationnel et à ne pas prendre de risques inutiles. Je n'insinues pas non plus que ce projet de raid contre les Otori soit un risque inutile...

Sans rien laisser paraître, Magoshi avait quand même été piqué lorsque Zengmao avait posé cette question. Le simple fait qu'un doute puisse flotter dans l'esprit du eigneur Tohan pourrait empirer contre lui. Il ne pouvait se permettre de laisser passer le moindre doute ou soupçon envers lui et ses motifs. Il pensa à ses prochaines paroles un moment, et finit par dire:

-Il serait plus qu'imprudent de me risquer sur une telle voie.

Il inclina la tête en signe de soumission envers Zengmao, achevant de confirmer ses dernières paroles. Ces dernières devraient normalement calmer quelque peu les apréhensiosn de son seigneur, mais il ne devait pas avoir une confiance aveugle en son propre jugement, il le savait très bien. Il releva la tête, et dit finalement:

- Tu a très bien raison. Une attaque maritime mettrait tes soldats à l'abri tout en leur donnant une certain effet de surprise.

Il repensa alors à Natsumi, dont ils parlaient plus tôt. Elle avait été enterrée en quelques sortes par l'idée de l'attaque contre les Otori.

-Mais juste avant de continuer dis moi, Zengmao: que comptes tu faire de la jeune Shirakawa, finalement?

Il attendit en silence une réponse de Zengmao.

Zengmao considéra son conseiller en silence, plongé dans l'interprétation de sa réponse. Les multiples sous-entendus et détours des paroles de Magoshi laissaient le Tohan perplexe, et bien qu'il ait compris que son conseiller niait les reproches qu'on lui faisait, il peinait à déceler les raisons profondes de cette dénégation. Le jeune homme jouait sur un plan bien trop subtil pour Zengmao, ce que celui-ci n'appréciait guère. Le seigneur Tohan chercha à accrocher le regard de son interlocuteur, qui comme d'habitude lui répondit en le fixant bien droit dans les yeux. Le maître des lieux sembla s'assombrir: était-ce son irritabilité encore mal apaisée après sa dispute avec la jeune Shirakawa, ou bien y avait-il vraiment quelque chose d'alarmant chez son conseiller?

Mais Zengmao se détourna bien vite de cette pensée: Magoshi l'avait toujours convenablement servi, et jamais sa conduite n'avait porté atteinte à l'honneur de son seigneur. Ce dernier préféra donc mettre cet accès de paranoïa sur le compte de la colère apportée par le refuse de Natsumi et classer l'affaire -il lui serait toujours temps d'y revenir si pareils soupçons refaisaient leur apparition dans un autre contexte. Zengmao ne s'excusa pas - il n'avait pas à le faire, mais la manière dont il revint à son observation de l'horizon exposait clairement le court plus confiant que reprenaient ses pensées.

"Ma lignée s'est toujours avérée ambitieuse, Magoshi. De tous temps, nous avons chercher à agrandir cette forteresse, à élargir nos frontières et à enrichir nos contrées. Certes le peuple a un peu de mal à comprendre la grandeur de notre entreprise, mais demande-t-on aux rats de voir aussi loin qu'un étalon? Les terres des Shirakawa sont prospères, le tribut que nous leur imposerons renflouera autant nos greniers que notre autorité. Et après eux viendront les autres Seishuu, et tôt ou tard les Otori finiront par tomber. Ces dégénérés ne savent rien de l'obstination du vrai guerrier. Les Tohan les vainqueront à l'usure."

Ce genre d'envolées lyriques ne ressemblaient pas à Zengmao, mais en l'occurence il s'en sentait l'envie. Dominer l'Empire... Oui, il en savait son peuple capable. Si lui-même n'y arrivait pas, ses descendants le feraient. A condition qu'il prenne femme dans un délai raisonnable, ce qui n'était pas spécialement pour l'enthousiasmer. Et comme pour appuyer ces agaçantes pensées, voilà que Magoshi ramenait au premier plan la question de la jeune Natsumi. Zengmao lâcha un soupir et répondit d'un ton cassant:

"Ne t'inquiète donc pas à ce point, l'honneur sera sauf. Je ne compte pas la violenter, de quelque manière que ce soit. Pour l'instant, je vais lui laisser quelques jours pour l'habituer au palais et aux règles qui le régissent. Après, celà ne regarde que moi."

Au moins le Tohan était clair: il acceptait avec plaisir les conseils de Magoshi en ce qui concernait la gestion de son domaine, mais pour les détails, il était de nature bien trop arrogante pour se laisser dicter sa conduite. Et puis, même s'il ne l'aurait en aucun cas avoué à voix haute, il faisait une affaire personnelle du dressage de cette petite tête de mûle de Shirakawa. Il en allait de son amour-propre.

-Tu illustres bien ton peuple, Zengmao. C'est sans doute ce qu fait que celui-ci t'aime assez pour t'obéir.

Il marcha quelque peu, et alla vers une armoire quelque mètres plus loin. Il en ouvrit les portes, et en sortit une carte. Bien qu'apparemment assez usée de par ses côtés fripés et quelque peu déchirés, elle illustrait avec beaucoup de précisions Les Trois Pays dans leur globalité. Il alla sur une table, et étendit soigneusement la carte. Il s'assura qu'elle tiendrait bien sur les côtés, et sans se retourner, il demanda, tout en détaillant la carte:

-Comment comptes tu procéder sur les terres ennemies?

Il leva la main, et traça du doigt tous les chemins possibles et imaginables pour partir du pays Tohan et aller où que ce soit ailleurs dans les autres pays. Certains chemins qu'il traça étaient inconnus mêmes des meilleurs éclaireurs, car il s'agissait de chemins cachés, dissimulés aux regards et passant généralement par des endroits devant eux aussi rester secrets aux yeux des gens.

-Il est nécessaire d'évaluer les chemins possibles, à mon avis.

Il continua à traçer du doigt la vieille carte, et attendit de voir si Zengmao viendrait observer la carte aussi, ou s'il ne ferait pas cas de tout cela. Dans un cas où l'autre, celà n'mavait pas réellement d'importance en fin de compte.